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La Gazette de Triniach
La Gazette de Triniach
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20 octobre 2021

De TRINIACH à LATOUR de FRANCE.

 

     Extrait de l’étude publié le 03 mai 1953 par l’Abbé Henri Maudet et de celle de l’Abbé Jean Capeille publié en 1928-1929 dans le bulletin, paroissial, (à ce jour ces études sont devenues quasiment introuvable), c’est pour pallier les difficultés rencontrées pour accéder aux quelques ouvrages relatant l’histoire de nos contrées et de nos bourgs, qu’il m’est venu l’idée de la réécriture de ces deux études traitant l’histoire de LATOUR DE FRANCE, mon village d’adoption.

     Ma seule ambition est de permettre à tous, résidents ou non de notre ancienne ville-frontière, de pouvoir se plonger dans son histoire,  de découvrir ses rues, ses places et ses ruelles, le pourquoi de leur nom, et les raisons de l’architecture si particulière de son centre historique, communément appelé par les Tourils (ses habitants) le vieux Latour.

 

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Aux portes de France, au seuil de Val d’Agly

 

     En pays de Fenouillèdes, LATOUR de FRANCE doit son nom, et son originale physionomie, à la tour qui couronne la ville et domine la contrée : la ligne précise et sévère que le vieux clocher dresse au-dessus de la Cité lui fournit le trait principal d’une silhouette très caractérisée.

     Vers l’an 900, une humble bourgade groupait là ses quelques maisons autour d’une petite chapelle dédiée à Notre-Dame des Anges. Ce village s’appelait alors TRINIACH. Si modeste qu’il fût, sa situation était digne d’intérêts : sa seule position lui conférait en effet une importance majeure : c’était, dirons-nous aujourd’hui, un point stratégique remarquable. Bati à proximité de la frontière des marches d’Espagne, il s’élevait au-dessus d’une éminence naturelle, un oppidum, et pouvait ainsi assurer la surveillance d’un large secteur ; dominant le cours de l’Agly, il était à même de contrôler le passage de la vallée.

     C’est la raison pour laquelle ce village fut doté d’une puissante tour : La Tour de Triniach, qui prit une telle importance qu’elle donna son nom à la ville. Solide bâtisse, cette tour constituait un ouvrage de protection : sa hauteur permettait de voir au loin et dans toutes les directions, et l’efficacité de sa surveillance sur les abords immédiats fut assurée par une courtine, qui partant de la tour, atteint sur quatre arches de viaduc, le sommet de la falaise dont les « à pic » surplombe l’Agly.

     Depuis les origines, cette TOUR reste le monument-témoin de l’histoire de la Cité. De son sommet et des points hauts qui ceinturent le village, une vue admirable sur les chaînons des Corbières vous attend. Rien ne peut rendre la richesse des tons, l’élégante, et forte beauté de ces basses montagnes, et de cette contrée, vues à cette heure de la journée où le soleil descend à l’horizon. Alors, les murailles de calcaire, qui tout à l’heure flambaient au soleil s’assombrissent et les crêtes dorées se revêtent de rose.

     Le château est encore debout, mais il n’a plus son attitude militaire du moyen-âge, il a changé d’aspect, tout comme la tour et le pays qui l’environne. Les siècles ont passé, patinant ses vieilles pierres, et laissant dans ses flancs la blessure des lézardes ; inlassablement, jour après jour, son ombre s’est projetée sur la ville et sur les hommes ; sous son regard, les générations se sont succédé, nouées et dénouées, tronçon par tronçon et les eaux du fleuve, à ses pieds, se sont écoulées comme s’écoule la vie qui ne revient jamais en arrière.

     Comme une grande Dame qui a subi « des ans l’irréparable outrage » et dont les jours de gloire ne reviendront plus, son rôle héroïque terminée, parce qu’il était lié à la condition des choses humaines dont le destin est de finir, mais l’ambition de cette grande Dame au grand cœur, est de servir jusqu’au bout pour finir sans reproche, et dont le « beau-soucis » est de garder suffisamment de grâce pour maintenir à la Cité cette noblesse de visage, qu’elle marque et révèle d’un trait principal. Élément caractéristique de la ville, la tour est également inséparable de l’église, et les diverses églises qu’a connu le village, furent bâties de part et d’autre de la tour, qui pour elle joua le rôle de clocher.

La tour-clocher et l'église
La tour-clocher avant restauration

 

     Or ce rôle ne fut jamais supprimé, et la tour y a gagné de n’être pas seulement le vestige inanimé d’un passé révolu, mais de rester en service dans une fonction permanente.

     Pour certains, en effet, elle n’a qu’une valeur de souvenir. Elle rappelle le temps où elle fut au service du château, mais le château déchu, son rôle de surveillance s’arrêta là. Mission terminée ! 

« Elle était de ce monde où les plus belles choses ont le pire destin ». 

     Pour d’autres, celle qui assure la survivance, garde une valeur d’actualité, elle fut et reste au service de l’église paroissiale. Et cette église se maintenant, son rôle de clocher continue. Ses voix de bronze, dans la ronde des heures, renouvellent sans cesse l’appel et le message.

     Aujourd’hui, faisant suite à d'importants travaux de restauration entreprit et menés à bien durant la mandature de Monsieur Jean-José COLOMES maire de Latour de France de 2008 à 2014, notre tour-clocher a retrouvé toute sa superbe et son lustre d’antan.

latour-de-france_316978
La tour-clocher après restauration 

 

-  LE VILLAGE -

 

     Il est des lieux pleins de souvenirs, et dont l’histoire fait à peine mention ; elle passe à côté en observant un respectueux silence, comme devant des choses que l’on vénère… ou, parfois que l’on ignore. LATOUR DE FRANCE est un de ces lieux, à la fois historiques et méconnus… et si l’historien s’est penché sur la vie de ceux qui en furent les maîtres, personne ne tenta de saisir, à travers les lieux mêmes, le mystérieux langage des choses.

     Or, dans une certaine limite, une étude des choses qui permet de mieux comprendre, et peut-être aussi d’aimer « mieux », est toujours possible. Une étude objective, et basée, au départ, sur des choses concrètes, pas seulement sur des papiers d’archives, ni sur des énumérations de généalogies, mais des ruines et des pierres, des maisons et des rues, de la carte du pays et du plan de la ville, de la dénomination des « lieux-dits » et des anciennes appellations locales encore en usage. Une étude qui rejoindra l’histoire des hommes, qui nous invitera à remonter les décors du théâtre et nous conduira à préciser le cadre dans lequel ont vécu ces hommes dont parle l’histoire.

     L’histoire, n’est point sans faiblesses, et, même impartiale garde ses fragilités : elle nous conte ce qui se passa sur le « plateau », mais souvent nous laisse ignorer ce qui se manœuvra ou se trama dans les « coulisses ». Les « énigmes » de l’histoire laisse bien souvent place à échafauder des hypothèses et à l’imagination pour combler les lacunes. C’est précisément sur ce point, qu’une étude objective apporte son concours. Avec elle, l’imagination ne tourne pas à vide, mais « accroche » et peut prendre appui sur des données réelles et des marques concrètes. Alors, il n’est point chose négligeable que de relever, de ci de là, la trace du passage des générations, car si l’histoire des hommes rend souvent compte de l’état des lieux, en retour l’aspect des choses vient illustrer l’histoire des hommes… à la façon du cadre qui souligne la valeur du tableau.

     N’est-ce point la disposition des lieux et leur situation particulière qui a poussé les hommes à munir leurs villes de fortifications pour les temps de guerre, et leur a dicté, en temps de paix, des améliorations pour de meilleures conditions de vie ? Or dans la ville de Latour de France, les choses ont gardé de nettes empreintes dont la confrontation avec des documents écrits permet de découvrir la raison d’être de certains ouvrages, de fixer leur époque de construction, et même de suivre leur évolution. Néanmoins on ne peut prétendre à une grande précision qu’à partir du moment où Latour de France, dégagé de la dépendance du Comté de Fenouillèdes, jouit d’une vie propre et devint Seigneurie autonome.

 

En voici deux exemples :

  

 1° - Ouvrage d’utilité publique : 

     Nous pouvons suivre, étape par étape, l’évolution de cet ouvrage remarquable du Canal de la Balme que l’on vient de cimenter en 1953… et qui fonctionne depuis 600 ans.

     Créé en 1330 par Bernard-Guillaume du Vivier qui « ouvrit la montagne » pour faire passer les eaux de l’Agly, il fut aménagé en 1443 par Guillaume de Belcastel. Il faisait tourner les moulins banaux et irriguait les terrains du « Pla de las feixas », comme le mentionne un manuscrit en latin conservé dans les archives municipales. En 1694, François-Claude de Montesquieu en fait refaire les murs de soutènements « depuis l’Écluse jusqu’au Moulin » et le maître-maçon Jean Serres (qui vient de rebâtir l’église) remet en bon état et élargit le pont par lequel le canal enjambe le « ruisseau du Torrent ».

Le pont_sur le Torrent_chemin de Montner-26237-8_w400
Pont aqueduc sur le Torrent

 

     En 1720, est effectué le percement de la galerie de 300m creusée dans « le rocher de Latour » qui passe sous le « Serradet » et la rue « du Marché » pour atteindre la région du « Torrent ».

Tunnel du canal de la Balme_sous le Serradet et la place du Marché
Sortie de la galerie du canal de la balme.

 

 2° - Ouvrage d’utilité militaire.

     Les remparts de Latour, le château, et les fortifications, sont choses très anciennes… mais seulement dans leurs infrastructures. Tels qu’ils nous apparaissent aujourd’hui, ils ne remontent pas au plus haut que le XVe siècle. C’est en effet en 1462, sous Guillaume de Belcastel, que subissant le contre-coup de la Révolution Catalane, Latour est totalement détruite et son château démantelé. En 1480, quand Jean de Voysins devient Seigneur de La Tour, le château est reconstruit, ainsi que celui de Planèzes qui appartient à la même Seigneurie ; et lorsque, en 1492, le Roussillon est rendu à l’Aragon, La Tour de France redevient ville-frontière… et Jean de Voysins la fortifie en conséquence.

     Ces deux exemples, suffisent pour faire comprendre notre propos : tenter une « explication » du village, et de ses abords, en partant de leur état présent.

     En une telle matière, une enquête totale est difficilement envisageable, voire quasiment impossible, et il serait naïf de prétendre à une explication décisive. Ce travail se situe dans des limites plus sages : son humble mérite, et sa fragile ambition, est d’essayer de satisfaire et d’apporter une réponse aux sentiments de ceux qui pensent qu’il y a par ci par là dans la cité qu’ils aiment, des traces des choses disparues aujourd’hui, mais qui ont eu pour raison d’être à un moment donné… et des souvenirs vénérables que la mémoire des hommes a depuis longtemps oubliés, mais que les vieilles pierres gardent au creux de leur silence.

 

CHAPITRE II – LA VILLE (la vieille cité) 

 

     Quand, au cours d’une rencontre, un inconnu, se dresse, immobile et muet devant nous, notre œil dans une appréhension légitime perçoit les traits de son visage, l’attitude de son corps, sa tenue et toute son apparence… et même avant de l’aborder, pour lui demander : dites-moi, quel est votre nom ? nous l’avons déjà jugé sur cette première et rapide impression.

     Or nous voici en présence de deux villes (qui n’en font qu’une) et qui selon par où on l’aborde nous présente deux visages. L’une « le nouveau Latour » qui rassemble dans la plaine, habitations et constructions récentes, et l’autre, accroché à la colline, le vieux Latour, « la vieille cité » qui rassemble ses maisons dans son enceinte ; qui n’égare point ses habitants dans des fermes ou des demeures éloignées, mais qui les tient jalousement à l’abri de ses murailles.

     Visage, situation, positions : sont les trois éléments nous expliquant « la VILLE », mais seul, son nom la définit.

 

Article 1°-- SON VISAGE. 

 

     Pour celui qui vient de France (de Saint Paul de Fenouillet, Lansac, Rasiguères, de Planèzes ou de Caramany) par la vallée de l’Agly (n’oublions pas qu’en 1482 lorsque le Roussillon fut rendu à l’Aragon, Estagel, Montner, Tautavel était repassé dans le royaume d’Espagne), la ville de Latour se présente comme une puissante masse qui arrête la vue et barre le chemin, et le premier coup d’œil, y reconnait une silhouette indiscutablement guerrière.

Latour_route de France_36937_273396 copie
Latour-de-France et le pont sur l’Agly vue de la fontaine du pont route de Rasiguères

 

     Cette ville bâtie pour la guerre, poste de garde et nœud de communication à deux pas de l’ancienne frontière, n’a rien perdu des caractères essentiels de son apparence d’autrefois : sa tour, son château, son église, ses remparts, ses bastions, dessinent sous nos yeux les traits principaux de sa physionomie d’antan. C’est une silhouette de ville de guerre qui se détache sur la crête de la colline, une silhouette qui ressemble étrangement au profil d’un navire de combat, car les nécessités de la guerre restent les mêmes et imposent les mêmes éléments de vision, de commandement, et de défense.

     Les places de la « Seillière » au sud, et de « Bellevue », au nord, sont comme les plages des gaillards d’arrière, et d’avant, la tour de l’église, comme la dunette de surveillance, le château, comme la passerelle de commandement, et le parapet court tout au long des remparts, comme la rambarde du navire. Ce n’est là qu’une comparaison, qui permet de souligner dans une image saisissante la raison d’être et le rôle de cette cité, et l’intention manifeste de ceux qui la bâtirent.

    Latour de France fut bâtie là, sur telle position, dans une situation déterminée, pour jouer un rôle précis, avec mission de surveillance et de contrôle, à un demi-lieue de la frontière, et si ses vieux murs, son château en vétusté et ses maçonneries patinées, n’ont plus aujourd’hui la noblesse des temps héroïques, ils en ont gardé la fierté et l’allure.

 

Article 2° -- SA SITUATION.

 

     Tout fleuve, toute rivière, dans les temps où les routes étaient inexistantes, constituait un cheminement naturel, il suffisait de remonter le cours de l’eau pour trouver un passage à travers les montagnes.

     En ces lieux, la remontée de l’Agly permet d’atteindre au cœur du pays de Fenouillèdes, puisqu’elle conduit depuis sa frontière (La Tour de France), jusqu'à sa capitale (Saint-Paul-de-Fenouillet). Et pour venir de Saint-Paul à La Tour, la route ne fait que suivre le chemin naturel que dessine le cours du « fleuve Royal ». Or les eaux de l’Agly se sont frayé un chemin au creux de deux montagnes : de Lansac au Nord, et Cassagnes au Sud, et la frontière toute proche impose des mesures de prudence. En effet, la route est gardée, et aux approches de Latour de France nous pouvons distinguer un double dispositif :

  • Sur la RIVE GAUCHE :

a)   Sur les hauteurs, une zone de surveillance dont le pivot est la tour de LANSAC. 

Fichier:Tour de Lansac.jpg — Wikipédia
La tour de LANSAC

Aucun cheminement ne lui échappe,  depuis la « Serre de Vergés » (583m), jusqu'à l’affaissement des « Bordes » (260m), et depuis l’Albèze (750m) jusqu'à la Tourèze (417m). De plus, elle est en liaison optique avec le château de Cuxous à l’Est, et avec le château de Quéribus au Nord.

Le Hameau et le château de Cuxous depuis Latour-de-France - Mes belles  randonnées expliquées
Château de CUXOUS

b)   Dans la vallée, une ligne de protection constituée par deux châteaux et par deux tours, dont la disposition apparait intentionnelle. Prenons la route de Caramany : elle change de direction et se dirige vers le Nord, en suivant les méandres de l’Agly qui coule en contrebas, à sa droite. Elle se développe à flanc de montagne. Après quelques kilomètres, le ravin du BOUCHA s’ouvre sur la gauche : et la tour de MONTFORT se dresse là. Plus loin, en arrière de Rasiguères et toujours à gauche, la tour de TREMOINE bloque les ravins du même nom ;


La tour de TREMOINE. 

     Mais à Rasiguères la route perd de sa hauteur, et descend à raz des eaux de l’Agly, qu’elle passe à gué, et continu de l’autre côté. Ce passage « à gué » est surveillé par le château de Rasiguères. La route chemine en montée régulière vers le SERRADET de Latour, en passant par la chapelle de Sainte-Eulalie, aujourd’hui disparue, cette chapelle était propriété des Seigneurs de La Tour de France. Un document daté de 1516 la signale sur la route qui va de La Tour de France à Planèzes. Planèzes qui à cette époque était également propriété de ces mêmes Seigneurs.

     Nous avons abandonné la rive gauche au gué de Rasiguères. En voici la raison. À partir de ce point, le fleuve royal s’engage dans un défilé jusqu’à proximité de Latour de France ; mais sur ce même point, les Seigneurs de Latour, ont bâti un château, dressé sur une élévation en bordure d’un important « planeau » : le château de Planèzes. C’est sur ce « planeau » que viennent se rejoindre deux chemins qui sont partis du pont de Latour, l’un a suivi la rive par la « Roque d’en Galinier » et la « Balmière » et l’autre a contourné le « Montredon », par la « Pujade » et le « coll del Lloup ».

     Pourquoi ces deux chemins ? C’est évidemment celui qui longe la rive qui semble le plus rapide et le plus facile ; l’autre fait un détour et gravit la montagne. Mais ce chemin de la vallée qu’emprunte aujourd’hui la route moderne, n’est pas sans danger et nos anciens furent bien souvent témoins, et parfois les victimes, de graves éboulements, comme ce fût le cas en 1940. Ce n’est pas pour rien que cette montagne porte en ce lieu, le nom de : Balmière, qui veut dire : trouée, comportant de nombreux trous. 

     Ce chemin en corniche n’étant pas très sûr, et d’ailleurs, souvent coupé dans le même temps que le gué de Rasiguères devenait impraticable, par suite de pluies prolongées ou d’inondations, il restait alors l’autre chemin, bien plus sécurisé, le chemin de la montagne.

     En effet, à son départ de Latour, il passe l’Agly sur le pont, puis tourne vers le « BOUSQUET », s’engage vers la « PUJADE de MONTREDON », passe le « COLL DEL LLOUP, et redescend sur le « planeau » de PLANÈZES.

Chemin de la montagne copie

 

  • Sur la RIVE DROITE :

      Il y a là aussi un dispositif de protection de la « route de France » qui se développe dans la vallée. Mais de ce côté-là, nous touchons à la frontière du Roussillon dont la ligne passe au sommet de la montagne : de n’importe quel point de cette ligne peut surgir une menace. La défense doit donc se baser sur des points d’appui susceptibles de rester en communication rapide et assurée.

     Une route militaire est créée à cet effet, qui partant de Latour suit exactement la frontière à l’abri des crêtes. 

  • Sont tracé. 
  1. Au départ du SERRADET de Latour, et jusqu'à CUXOUS est totalement camouflée par le Torrent qu’elle suit dans ses moindres sinuosités ;
  2. Le château de CUXOUS la protège exactement sur le seul passage à découvert, qui soit visible depuis Força-Réal.
  3. Elle se développe à l’abri, des crêtes, passe à CASSAGNES et atteint BELLESTA-de-la-frontière.
  4. Par la suite, elle passe sous la protection du Château de MONTALBA.En dehors de ce secteur de Latour, Latour de France et Montalba faisant charnière, cette même route file sur Trévillach et Sournia, en suivant la frontière du Conflent, laquelle passe par la Roque de Jalère (1104m), et le Rocher du Roussillon (1314m), et atteint le Pays de Sault.
  • Ses liaisons. 
  1. En communication avec la route de la vallée par le chemin de liaison qui monte de l’Agly, depuis le gué de Rasiguères, vers Cassagnes par le ravin des « Teychounères » ce ravin qui est dans l’axe de la Tour de Trémoine de l’autre côté de la vallée ;
  2. Elle reste également avec l’Agly par le chemin qui monte de la vallée vers Bellesta par le relai de Caramany établi en un passage escarpé : le passage du « Grand—Roc » (Kermagnum).
  3. En dehors de ce secteur de Latour de France, le chemin qui monte d’Ansignan vers Sournia par la vallée de la Désix joue le même rôle de liaison.

        Ainsi la situation géographique est magnifiquement exploitée par une disposition de surveillance et de liaison, dans une région frontalière particulièrement exposée aux surprises des temps de guerre.

        LATOUR de FRANCE, fait la jonction des deux artères maitresses de ce dispositif que sont : la route militaire et la route naturelle dont le point de contact est le SERRADET.

 

Article 3° -- SA POSITION 

 

     Le village est « posé » sur une butte escarpée, et le fleuve Agly, tourne autour de cette butte dans un resserrement de la vallée après quoi il s’allonge et se répand plus aisément dans la plaine vers Estagel. 

     Au loin, à gauche, c’est la Tour de Tautavel qui domine, et à droite c’est Força-Réal au-dessus de Montner. 

  Tour del Far — Wikipédia
La tour de Tautavel (Torre del Far)


 Força Réal | Espaces naturels 66
Força-Réal

      TAUTAVEL, ESTAGEL, MONTNER sont des villages, situés au-delà de la frontière, ce sont des voisins, certes, mais qui selon les circonstances, peuvent se révéler ennemis. Il faut donc se tenir tout particulièrement sur ses gardes de ce côté-là, surtout en temps de guerre. Et si l’on suit sur une carte, le ruban des routes qui viennent de ces contrées vers le Fenouillèdes et vers la France, on constate qu’elles arrivent toutes à se joindre sous les murailles de LATOUR.

     Latour de France apparait ainsi d’où que l’on vient, comme une porte d’entrée, une porte gardée, et qui peut être, au besoin verrouillée. Dans ce secteur, c’est la seule porte praticable, en un temps où, en dehors des chemins naturels, il n’y avait que des sentiers capricieux à travers des montagnes désertes. Il existe vraisemblablement d’autres cheminements qui peuvent conduire à Saint-Paul, mais sur eux veillent aussi d’autres tours, et d’autres forteresses comme celle de Quéribus qui plonge dans la vallée de Maury et qui est en liaison optique avec Lansac qui tient la montagne.

Château de Quéribus : forteresse perchée au coeur du pays cathare
Chäteau de QUÉRIBUS 

 

 

LATOUR, au centre d'un noeud de communications.

 

Un simple croquis permettra de constater la position dominante de Latour au centre de ce noeud de communication

 

     On remarquera, que le SERRADET (redoute extérieure), commande les routes « de France ». Mais on notera également que pour arriver à Latour, les routes « étrangères » passent nécessairement par un pont. Nous verrons plus tard le rôle du SERRAT D’EN FRANC  et des deux ponts qui enjambent le torrent, de part et d’autre du Serrat.

  • La route .I. (La route de Rasiguères). 

     Est la route « naturelle » qui vient de France par la vallée de l’Agly, elle passe le gué à Rasiguères et, par Sainte-Eulalie, s’élève en pente douce au long de la montagne et aboutit au Serradet, la redoute extérieure de Latour. (Une redoute, est un fort ou un système de fortification consistant généralement en un emplacement fortifié défensif à l’extérieur d’un fort plus grand. Elle sert à abriter les soldats.)

  • La route .II. (La route de Cassagnes).

     Est la route « militaire » qui part du Serradet ou elle prend contact avec la route « naturelle », et ensuite monte vers Cuxous et Cassagnes sans autre préoccupation que le camouflage parfait du Torrent.

  •  La route .III. (La route de Tautavel).

     Est la route « étrangère » qui vient de Tautavel sur la rive gauche de l’Agly : elle est tenue en respect dès son arrivée par le bastion Nord de la ville et ses remparts, et ne peut y accéder qu’en franchissant le pont, et doit obligatoirement passer par : le CROS (le creux) sévère passage entre le bastion Sud et la redoute du Serradet. Qu’on veuille bien remarquer, la disposition étrange des remparts de Latour qui font face à l’Ouest : on a l’impression que tout l’effort de défense de la ville porte du côté opposé à la direction de l’ennemi (l’Espagne). Cette anomalie n’est qu’apparente. Le « but » de l’ennemi est de pénétrer en Fenouillèdes, et pour y parvenir le seul moyen praticable c’est la vallée. Or c’est la route III qui y conduit directement. Et, arrivée par cette route jusqu’au pont de Latour, l’ennemi se trouve bloqué dans une cuvette entre la Tourèze et le Montredon d’une part et d’autre part par les murailles de la ville. Et s’il s’engage dans l’un des deux chemins qui continuent vers Rasiguères, soit par la vallée (rive droite), soit par la montagne (coll del Lloup), il tombera nécessairement sur le château de Planèzes.

  • La route .IV. (La route d’Estagel).

Est celle qui vient par la rive droite de l’Agly ; elle ne peut atteindre la ville qu’en franchissant le pont du Torrent, lequel pont est surveillé par le Serrat d’en Franc dont nous verrons le rôle plus tard.

  • La route .V. (La route de Montner).

     Est celle qui vient de Montner par les collines, elle aussi ne peut atteindre la ville quand franchissant le pont de la Fontaine, également sous la surveillance du Serrat. De plus aucune de ces routes ne pénètrent vraiment en ville, elles ne peuvent aller plus loin que les faubourgs.

     Voilà donc pour l’extérieur de la ville, mais l’étude de sa disposition intérieure nous réserve d’autres surprises, et ce sera l’objet d’un prochain chapitre.

 

Article 4° -- SON NOM

 

         Nous ne sommes pas encore entrés dans cette ville, et nous n’en connaissons à cet instant, seulement les apparences, et cependant, déjà, l’aspect de sa silhouette, l’examen de sa situation géographique, la constatation de sa position privilégiaire, nous en ont fourni comme une explication. Et voici maintenant son nom, qui va nous révéler, d’un coup, toute sa personnalité.

 

  • SON NOM.

     Le village de Latour de France, s’est tout d’abord appelé d’un nom aujourd’hui oublié : Triniach,

         -      C’était au X° siècle : Triniach

         -      Puis au XI° siècle, ce fut : Tour de Triniach ;

         -      Par la suite : Tour de Fenouillèdes, quand il dépendait de la vicomté de Fenouillet. Et enfin en 1271 : Tour de France, lorsque le Languedoc fut réuni à la couronne de France.

     Manifestement c’est la construction de la TOUR (du clocher actuel), qui a marqué le déclin de l’appellation ancienne de Triniach, laquelle a fini par être supplantée par le nom même de cette TOUR. Mais que veut dire ce vieux nom de TRINIACH ? L’origine en reste obscure ; et jusqu’à plus ample information, il n’est pas interdit d’y voir la contraction des deux vieux mots de :

     - TRINI : qui sont « par trois », ou qui vont « trois ensemble » et de 

     - AGA : ancien impératif de « agarer » qui veut dire : regarde ?

     Ne dit-on pas Agaïta, en langue d’Oc pour dire regarde ? Et dans le français, n’y a-t ’il pas des mots et des expressions de même sens et de même racine dans : aguicher, attirer le regard, aguets : se tenir aux aguets, guet : faire le guet, guetteur : l’homme qui fait le guet, échauguette : le lieu où l’on guette, guerite. 

        Dans cette hypothèse, le village aurait très bien pu recevoir cette dénomination de Triniach, en raison de sa position sur une hauteur qui a vue, triple vue, triple regard, dans des directions bien définies :

        -      Au sud, sur le vallon de Cassagnes : Le Torrent ;

        -      À l’est, sur l’aval de l’Agly, vers Estagel et la plaine ;

        -      À l’ouest, sur l’amont de l’Agly, vers Rasiguères et le défilé.

     Cette interprétation du sens de Triniach est d’autant plus vraisemblable que nous la retrouverons plus tard traduite en langage hiératique, sur le blason de la ville de Latour, qui a succédé au village de Triniach.

 

  • SES ARMES (son blason).

     Les armes de Latour présentent une tour d’argent sur fond bleu et au-dessus trois tourteaux d’or sur fond rouge, c’est la traduction des termes héraldiques : D’Azur à la tour d’argent, surmonté en chef de gueules à trois besants d’or.

 

 Blason de Latour-de-France La Tor de França
Blason de Latour-de-France

 

     Nous nous permettrons de souligner que ces armes rappellent le nom de TRINIACH, à la fois comme cité rurale de la Province du Languedoc, et comme cité militaire à la frontière de France.

 

I.-- Cité rurale du Languedoc :

- les tourteaux -

 

  1. Sont posés sur fond rouge, et le rouge est la couleur de la Province de Languedoc ;
  2. Sont au nombre de trois, et le vieux nom de TRINIACH n’est pas oublié ;
  3. Sont le symbole de la vie agricole et industrielle du pays, pays de graines et d’olives.

  

II.-- Cité militaire frontalière de la France :

- La tour -

 

     1°) Est posée sur fond bleu, et le bleu est la couleur du blason de France. Sur bleu de France s’inscrit une tour, et la tour est placée « en avant » pour protéger le pays qui s’étend au-delà.

     2°) Est crénelée à trois dents, car elle contrôle trois routes qui viennent du pays opposé :

        a)   La route de Tautavel sur la rive gauche de l’Agly,

        b)   La route d’Estagel sur la rive droite de l’Agly,

        c)    La route de Montner sur les coteaux.

        3°) Comporte trois ouvertures, trois fenêtres, car elle à triple vue, triple « regards » (Triniach) vers le pays opposé.

        a)   Sur le débouché de la vallée à l’est,

        b)   Sur la plaine au sud-est,

        c)    Sur les montagnes du sud.

        Et cette tour n’a pas de porte au ras du sol. Nous avons noté en son lieu, que la tour du Clocher a son entrée au premier étage. Plus loin nous dirons pourquoi. Cette tour à la frontière de France, a une mission permanente de surveillance, et une mission éventuelle de défense.

 

LA TOUR DE FRANCE fut donc : 

     Une VILLE, vivant du territoire qui l’entoure et de quelques industries issues de l’exploitation des ressources essentiellement agricoles du pays.

 

  • FORTIFIÉE – dans un but de défense, car elle est :

     a)   Situé dans une région frontalière, et donc à la merci des incursions étrangères : en conséquence elle doit veiller à sa protection.

     b)   Placé au débouché d’un cours d’eau, acheminement naturel à travers la montagne, elle doit en surveiller l’accès.

     c)    Bâti sur un éperon rocheux qui rétrécit la vallée au point où s’y engage la route, elle ne peut être mieux située pour en contrôler le passage.

     C’est cette idée de défense, ce triple souci de protection, de surveillance et de contrôle, qui ont présidé au plan de reconstruction après sa destruction totale en 1462.

 

SON AMENAGEMENT :

 

     Sans doute, il n’y parait pas au premier abord : ses rues, et ses ruelles donnant parfois l’impression d’un enchevêtrement désordonné, les maisons semblent s’entasser les unes sur les autres au petit bonheur de la déclivité du terrain, les ruelles étroites et montantes, jamais rectilignes, ne se prolongent jamais l’une l’autre, et jamais ne se croisent correctement.

     Cependant une simple vue du plan, même actuel, fait distinguer dans cet apparent désordre les trois régions classiques des villes moyenâgeuses, les trois groupements distincts mais nettement articulés entre eux, que sont:

  • Le CHÂTEAU

     Se situe dans la partie la plus élevée, et englobe dans ses dépendances une région suffisamment importante pour qu’il lui soit possible d’y abriter la population du bourg, en cas de dange.

  • Le BOURG 

     Disperse ses maisons, adroitement, comme nous verrons, sur les pentes de la collines rocheuse, séparée du château, cette région communique cependant avec la précédente par des passages étroits, de vrais « goulets », faciles à barricader.

  • Le FAUBOURG : 

     Marque, au bas et sur les bords de la déclivité, la transition entre le bourg et la campagne ; c’est la région des bâtisses rurales, maisons, granges, greniers, au départ des chemins d’exploitations.

Nous allons successivement examiner ces trois régions dans les sections qui suivent.

 

SECTION – A - 

RÉGION MILITAIRE - Le Château.

 

     Ce plan partiel de la ville donne la disposition de la région militaire, organisée pour la défense. 

 

 

     Cette région occupe à l’ouest de la ville un emplacement pisciforme, dont la largeur, prise en son milieu, équivaut à peu près au tiers de sa longueur. La moitié Nord est disposée sur la hauteur, et la moitié Sud décline progressivement. Elle s’étend depuis la limite extérieure du quartier du « Chapitre », jusqu’à la limite intérieure du quartier du « Moulin » dont elle est séparée par le passage du « Cros ».

  • LE CROS.

     Il convient de considérer qu’à l’époque où fut rebâtie le village, après sa destruction au XV° siècle, la route de la vallée (celle qui vient de Tautavel) passant sur le pont de L’Agly, longeait comme aujourd’hui les remparts en obliquant sur sa droite, mais ensuite elle ne tournait pas derrière le quartier du Moulin : elle piquait directement sur un affaissement naturel dans la ligne de crête, dénommé, pour cette raison le « creux », le CROS, et débouchait sur l’actuelle place Rosette Blanc.

  • LE SERRADET.

     Ce passage du Cros était sérieusement gardé, car le quartier actuel du Moulin, qui par sa position même le coince contre les murs de la ville, était doté de constructions jouant le rôle de redoute extérieure, il suffit de l’examiner depuis les jardins du Pont pour se rendre compte de son allure menaçante. Ses pentes vers l’Agly étaient boisées, et les « rameaux » du RAMIER, étaient un précieux et classique camouflage. Ce quartier a gardé un nom populaire très significatif : on l’appelle LE SERRADET, le « petit Serrat », par opposition à ce grand SERRAT dénommé : le « Serrat-d’en-franc ».  

     Nous verrons que le Serrat-d’en-franc est un élément important dans le plan de protection militaire de la ville. D’autre part que l’on veuille bien noter, nous l’avons dit plus haut, que le Serradet constituait le point de protection de la route de Rasiguères (par Ste Eulalie) et de la route militaire qui monte vers Cassagnes.

    

DISPOSITIF DE DEFENSE

de la Région militaire.

  

  • Ce dispositif comporte les éléments suivants :
  1. Le Commandement : Le château nœud du dispositif.
  2. La Surveillance : La Tour du clocher, la Courtine.
  3. La Protection, qui comprend : Au centre : une triple ceinture des rues autour du château, et aux extrémités : des dispositifs de sécurité pour la bataille des rues
  4. Les communications intérieures.
  5. La défense de la périphérie, à l’Ouest, à l’Est, au Nord, au Sud.

 

Article 1.- LE COMMANDEMENT.

 

  • LE CHÂTEAU :

     Est construit sur le plateau au-dessus duquel se développe la ville. Il offre l’apparence d’une masse imposante et fermée. Ce fut évidemment la demeure résidentielle des seigneurs de Latour, ou, en leur absence, celle de leur gouverneur. De fait, ce fut l’immeuble administratif par destination : en temps de paix y siégeaient juges et baillis et autres fonctionnaires ; en temps de guerre, les officiers y installaient leur quartier général. Il se compose de deux grands corps de bâtiments qui encadrent une cour centrale dans laquelle on remarque une citerne. D’authentiques documents (archives communales de Latour de France) nous signalent:

  • Le « Grand logis » qui comprenait :  

     Au rez-de-chaussée, d’une part, une grande salle, dite la « Salle basse » qui était le lieu de réunions et d’affaires, et, au besoin, la pièce de réception. D’autre part : la cuisine et ses dépendances : le pastadou (le pétrin), et le magasin.  Au premier étage, juste au-dessus de la grande salle dites : « Salle basse », d’une part, les appartements de Madame (2 chambres) et ceux de Monsieur (1 chambre et 1 cabinet de travail), et d’autre part, une antichambre et diverses autres pièces : chambre verte, chambre rose, et chambre de service, et au deuxième étage, des greniers, et à chaque extrémité, sur les remparts, un couloir donnant accès aux échauguettes de surveillance.

  • Le « second logis » qui comprenait :
  1. La « Tina » (cave) et le cellier
  2. Le poulailler, le bucher pour le bois de chauffage et une bergerie.

     Et à l’extérieur du château, dans ses infrastructures, étaient aménagés :

  1. Des écuries pour chevaux et mulets,
  2. Plusieurs magasins pour les harnachements,
  3. Des réserves pour l’outillage agricole et forestier,
  4. Des paillers de fourrage,
  5. Des logements pour les palefreniers.

 

Article 2.- LA SURVEILLANCE.

 

  • LA TOUR.

     Ouvrage essentiellement militaire, cette tour, massive et carré, s’élève puissamment. Ses murs n’ont ni ornementations ni encorbellement, elle ne présente quelque élégance… qu’en son couronnement, avec quatre tourelles d’angle reliées par une balustrade dont le crénelage ne manque pas de fantaisie.

     Elle n’a pas été construite pour être admirée, ni pour être vue, mais pour voir.

     C’est une tour de surveillance, tenant sous son regard la plaine au-delà de la ville, plongeant par-dessus le château, dans la vallée qui est suivie depuis son tournant au-dessous des remparts, jusqu’à son défilé d’amont, le point-limite de ce côté est Sainte Eulalie, et Sainte Eulalie est, en même temps, le point-limite de la vue du Château de Rasiguères dans cette direction.

     Fenêtres ouvertes dans les quatre directions, rien ne peut échapper à la surveillance de ses guetteurs sur les pentes et le torrent qui descend de Cassagnes, ni sur les crêtes et les flancs de la Tourèze, ni sur les « Pujades » de Montredon.

     Elle est en liaison optique avec la tour de signalisation de Tautavel, et avec Força-Réal, mais elle n’est pas elle-même une tour de signalisation, sa position ne lui permet pas de transmettre. Son rôle de surveillance, s’arrête à la ville même. Nous verrons plus loin qu’elle est en communication immédiate avec le guetteur du château dont la guérite est à portée de voix, par-dessus le toit de la vieille église, en effet, l’échauguette du château se présente à moins de vingt mètres.

    Elle peut éventuellement devenir une tour de défense, ses murs ont plus d’un mètre d’épaisseur. Le rez-de-chaussée est bourré de travaux de maçonnerie contre les travaux de sape. À ce niveau du sol aucune entrée n’est prévue, cependant un espace restreint y est aménagé, pour faciliter le tir des archers à travers deux meurtrières. On ne peut pénétrer dans ce poste de tir, que par le haut, au moyen d’une échelle à main partant du premier étage.

     À chaque étage, la voute est percée, et ce n’est point l’installation de l’horloge qui a provoquer ce « trouage » des voutes, le mécanisme d’horlogerie ne fait qu’utiliser un passage déjà existant, comme il était en effet d’usage pour les forteresses peu importantes. Elles furent « crevées » pour le passage rapide des munitions et du matériel de combat, et c’était aussi par ces ouvertures que l’on pouvait accéder aux étages supérieurs par le jeu d’échelles à main.

     La porte, est située au premier étage, aucun escalier n’est prévu à l’extérieur. On y accédait par une échelle à main que l’on tirait à soi après l’avoir gravie. Actuellement un escalier quelconque relie cette porte au sol de la vieille église, mais cet escalier masque en partie une ancienne porte aujourd’hui murée dont la voussure est toujours visible.  Cette ancienne porte n’est autre, que l’aboutissement dernier de cette rue que l’on nomme aujourd’hui « l’impasse du clocher ». Elle s’ouvre sur la même face que les meurtrières dont nous avons parlé plus haut et au même niveau. Ainsi, l’accès à la porte était bien défendu.

     Il est malaisé de se rendre compte de l’ancien état des lieux, du sommet de la tour, on peut quand même remarquer la trace d’un ouvrage qui devait protéger la porte « basse » à l’extérieur du mur, se trouvait une placette d’armes sur laquelle donnent les deux meurtrières. Cependant au rez-de-chaussée de la tour, on aperçoit nettement les traces de l’ancien niveau du sol, qui fut creusé lors de la construction de la nouvelle église pour le mettre au niveau du sol plus profond du nouvel édifice.

 

  • La COURTINE.

     Ouvrage destiné à renforcer l’efficacité de la tour, c’est une muraille, qui dans les fortifications, relit et met en communications deux tours. Les deux tours réunies par la courtine sont : d’une part, la grande tour du clocher, qui nous est restée, et, d’autre part, une autre tour plus petite, moins puissante et moins élevée, faisant corps avec les murailles extérieures, et qui défendait, sur les remparts la « plage » du cimetière, une tour flanquante. Telle quelle, cette tour a disparu, pour les mêmes raisons que la « plage » du cimetière et le cimetière lui-même, dans la construction de l’église II et III, elle fut utilisée comme pilier d’angle, c’est la partie aveugle dans notre chapelle actuelle des fonds-baptismaux.

     Cette courtine supportait un passage en terrasse sur le cimetière, passage dont la longueur a nécessité la construction de quatre arches de soutènement qui se juxtaposent au mur. Ces arches reposent sur des pilastres qui donnent appui aux arceaux de l’Église. Au-dessous de ces arches nous remarquons trois ouvertures.

  1. L’une à l’Est, est la porte « basse » du clocher, dont nous avons parlé plus haut : au-dessus d’elle, entrant dans le clocher s’ouvre la porte du premier étage.
  2. L’autre au Sud, sous la deuxième arche, était la porte donnant passage dans le cimetière à travers le mur de la courtine.
  3. Une troisième porte, beaucoup plus importante, mais invisible de l’intérieur, ouvre à l’Ouest à mi-hauteur du rempart du boulevard et nettement dessinée : juste au débouché de la courtine, dans un angle mort, et protégée par l’avancée de la tour flanquante : c’est le type de poterne qui permet des sorties secrètes « à l’improviste ».

     Nous reparlerons de ces détails dans la « défense de la périphérie, à l’Ouest ».

     Qu’il suffise, pour le moment, de remarquer que la courtine est en directe relation avec la tour, et ne peut être utilisée que par les hommes d’armes postés dans la tour : on y accède en effet par une unique porte qui se trouve au deuxième étage de la tour.

      Surveillance, éventuellement défense, tel est le rôle de cette tour imposante, et solide, n’a jamais « bougé » de place, par ce que son rôle exigeait quelle resta face au château, tandis que l’église, d’abord bâtie sur un de ses côtés fut ensuite rebâtie du côté opposé.

 

 

Article 3.- LA PROTECTION.

 

 La protection couvre toute la Région militaire, selon des modalités diverses, elle est adaptée aux conditions des lieux ou proportionnée à l’importance des organes à protéger. C’est la raison pour laquelle nous pouvons distinguer un système de protection différent selon qu’il s’agit du centre de cette région ou de ses extrémités.

 

  • AU CENTRE : 

     Le dispositif consiste en une triple ceinture de rues, un triple retranchement, autour du château. Le château est évidemment le « centre nerveux », d’importance capitale.

     Du côté des fortifications, faisant face à l’Ouest, en arrière du chemin de ronde des remparts (boulevard Corronnat), enfermé dans de hautes murailles, il « tient le front » du secteur principal : le pont, le fleuve et la route. Mais du côté de la ville, isolé, non seulement, il ne distingue qu’une seule porte d’entrée principale, mais aucune bâtisse étrangère n’est en communication avec lui, et d’un bout à l’autre, il est longé par une rue.

     Quand cette rue touche le rempart, d’un côté, le mur du château s’y termine par un passage en chicane dominé par un poste de vigie juché au sommet de l’angle de la vieille église, et la aussi le château surveille de haut par une échauguette.

     Il suffit de lire le tableau ci-dessous, pour se rendre compte de la disposition en triple ceinture des rues de la région militaire.

 

PREMIÈRE LIGNE : 

Rue
Gilbert Brutus. (2)

Place d’Armes. (3)

Rue de l’hôpital. (4)

  ---------------

DEUXIÈME

LIGNE :

Rue longue. (5)

Rue du Four. (6)

Impasse du Clocher. (7)

Prolongé par la Tour. (8)

et sa courtine. (9)

-------------------

TROISIÈME LIGNE :

Rue Roger Salengro. (10)

Place de la Liberté. (11)

Rue de l’église. (12)

 

 

Liaison entre

PREMIÈRE et
DEUXIÈME ligne 

-----

Rue étroite. (13)

Rue du Four. (6)

La Place d’Armes. (3)

 

  

 

 

 

 

 

 

Liaison entre

Les trois lignes 

----- 

Rue du château. (15)

 

 

 

 

 

  

 Liaison entre

DEUXIÈME et
TROISIEME ligne 

----

Rue Colbert. (14)

Rue du Four (côté puits)

(6)

 

     La troisième ligne, qui marque la limite de la région du château vers la ville, est la principale rue urbaine, ce n’est pas sans raison qu’elle était autrefois la rue des commerçants.

 

  • AUX EXTRÉMITÉS.

      Le dispositif diffère selon la situation des quartiers Nord et Sud, le premier est situé sur la hauteur, l’autre dans la déclivité qui s’acconte (s’accentue) à partir de la rue de la Mairie.

  • Quartier haut, depuis la Rue Étroite (13), jusqu’au bec Nord des fortifications (18), nous pouvons reconnaitre :
  1. Sur le bec : un bastion (19), et sa « plage » : la place Bellevue (20), plate-forme de manœuvre.
  2. En arrière : vers le Sud, un labyrinthe, entre le bastion (19) et la place de l’huile (22), aujourd’hui dénommé : place Valmanya.
  3. Vers l’Ouest : un labyrinthe :la Roquette (21), à l’aboutissement de la rue de la Roquette, ainsi nommée par ce qu’elle termine sur le rempart par une « rocade : petite corniche taillée dans le roc ».
  • Quartier bas, depuis la rue de la Mairie (23), jusqu’au bec Sud des fortifications (25), nous pouvons reconnaitre :
  1. Sur le bec : un bastion (24), et sa « plage » : la place de la Seillière (26), plate-forme de manœuvre importante, la route arrive juste en-dessous.
  2. En arrière du bec, et disposées en échelon suivant la déclivité du terrain : deux rues rectilignes pour l’accès rapide du rempart ; la rue de la Seillière (27) et la rue ancienne de la Mairie (28), aujourd’hui : rue Justice de Paix.
  3. Au haut de la déclivité, faisant charnière avec la région centrale : la rue (actuelle) du Presbytère (23) qui desservait la « plage » du Cimetière (lieu où est bâtie l’église actuelle).

     Nous verrons plus loin le rôle de la « Grand’ Rue » qui fait la liaison avec entre les trois dernières rues dont nous venons de parler, et dont l’objet est le service rapide des « plages » situées sur le rempart.


La Grand'Rue

 

 

Article 4.- LES COMMUNICATIONS. 

 

     Nous voulons parler surtout des communications vers l’extérieur de la région militaire du château, parce que c’est là surtout que joue la protection. Mais les communications à l’intérieur de la région sont à relever, et cela rapidement, car une seule artère met en communication la vieille ville:  la « rue Longue ». C'est l’artère vitale, la seule, qui joint les centres essentiels d’habitat et de ravitaillement en cas de siège prolongé.

     En dehors des maisons plus ou moins confortables (on n’y regarde pas de si près en temps de guerre) qui pouvaient l’abriter, la population y trouvait le ravitaillement en pain à la « rue du Four », et en huile à la « Place de l’huile » aujourd’hui : Place Valmanya, et le château tenait en réserves sa « bergerie » pour la viande fraîche, ses « paillers » pour la nourriture du bétail, et sa « Tina » pour le vin.

     Tous ces « centres » ne sont en communication que part: la « rue Longue ».

     Sans doute, cette rue aurait pu traverser la dite région en droite ligne, dans toute sa longueur, mais par prudence, on a donné cette forme et ce développement irrégulier si typique des rues du Moyen-Âge, avec des renfoncements, des impasses, des angles morts, des décalages, des incurvations… si utiles en cas d’investissement. Car l’investissement reste toujours possible, malgré les précautions qu’ont prises les bâtisseurs, et que nous remarquons au point de contact entre l’intérieur de cette région et son extérieur.

 

  •  Communications vers le NORD et vers le SUD. 

     À chaque extrémité des fortifications on ne peut pénétrer dans la ville qu’au deux points de départ de la troisième ligne :

  1. Au Sud, la rue Aristide Briand (33), se rétrécit au point de ne permettre le passage que d’une seule voiture, et débouche juste derrière le bastion Sud (24).
  2. Au Nord, la rue Roger Salengro (10), se termine de la même façon (actuellement avec moins de netteté), et débouche derrière le bastion Nord (18).

 

  •  Communications vers  l’OUEST.

     On peut relever le long des fortifications divers passages en chicane disposés au débouché des rues sur les remparts :

  1. Au bout de la rue Gilbert Brutus (17).
  2. Au bout de la rue de la Mairie (29).
  3. Au bout de la rue de l’hôpital (30). C’est là un passage important dont la largeur accepte voitures et attelages. Il est surveillé de part et d’autre par l’échauguette (32) du château et par le poste de vigie (31) de la vieille église.

 

  • Communications Vers l’EST.

     Tout le monde remarque le passage vouté à galerie sous lequel s’engage la rue du château (15), c’est manifestement un ouvrage de surveillance militaire, et, au besoin de défense, qui contrôle avec efficacité l’accès au château.


Le passage vouté de la rue du chäteau

     Mais tout le monde ne remarque pas ces curieux passages si resserrés qu’aucune voiture ou aucun attelage ne peut s’y engager. Ce sont de vrais goulets que ces rues qui débouchent dans la ville, tels que sont: la rue Kleber (14), et t la rue du Four (16), côté du puits. Nous verrons ultérieurement leur prudente disposition par rapport aux rues correspondantes du bourg.

     En conclusion, la « zone » du château, est organisée à l’intérieur pour recevoir éventuellement la population, est protégée à l’extérieur par des issues en chicane, s’articule avec le bourg par l’intérieur, par des goulets dont l’obturation facile, permet d’isoler rapidement la région militaire. Et la rue du château est la seule qui demeure largement ouverte… mais elle peut être totalement neutralisée grâce au poste de garde vouté et ne peut en réalité atteindre l’entrée du château que par un décalage à travers la Place d’Armes.

 

Article 5.- LA DÉFENSE de la périphérie.

 

     Que l’on aborde la région militaire du Nord, du Sud, de l’Est, ou de l’Ouest, on se trouve toujours en présence d’une organisation défensive dont tous les éléments sont en place.

  • Voici comment, les fortifications se présentent à l’Ouest.

 

     On y reconnaîtra les éléments déjà examinés :

  1. La tour.
  2. La courtine.
  3. La tour flanquante.
  4. La poterne de la courtine au droit de sa jonction avec la tour flanquante.
  5. La « plage » du cimetière.
  6. Le poste de vigie, au sommet de l’angle N-O de l’église vieille.
  7. Une échauguette du château.
  8. La « plage » de la terrasse du château.
  9. La placette de l’église, partie de la « plage » du cimetière.
  10. La rue du presbytère, ou rue de l’accès à la « plage » du cimetière.

  • (A) . La défense périphérique de l’EST, côté de la ville.

 

  • (B) . La défense du quartier SUD :

 

  • (C) . La défense du quartier NORD :

 

 

     Nous ne saurions mieux conclure ce chapitre qu’en présentant la totalité du plan exact de la région militaire.


Ce plan complet: 

  1. Met en évidence la rue Longue comme artère économique principale, la seule, qui joint les centres essentiels d’habitat et de ravitaillement en cas de siège prolongé
  2. Indique les communications de l’intérieur vers l’extérieur, fait état de la défense de la périphérie,
  3. Situe exactement par rapport au château les fronts Ouest et Est, et les quartier Nord et Sud : et rassemble ainsi les plans donnés figures: 21,22,23,24.

 

     Au Moyen-âge, les places systématiquement organisées comprenaient deux ou trois enceintes qui se commandaient de l’intérieur vers l’extérieur, l’enceinte intérieure était dominée par un réduit, citadelle ou donjon.

     La région militaire du château répond à cette conception, quant à la protection et à la défense, elle constitue un refuge très efficacement protégé dans toutes les directions, et susceptible de fournir hébergement et assistance ; enfin, son château est bien au centre de trois enceintes. Si le village, n’était constitué que de ce quartier de la région militaire, Latour serait seulement une forteresse, comme Quéribus, et Peyrepertuse. Mais Latour est une ville.

     Une ville que sa situation frontalière expose à des dangers, c’est pourquoi ses relations sont directes avec le dispositif militaire du château, et les nécessités de la vie citadine ne font pas perdre de vue les indispensables précautions de sécurités.

 

 

Section B.

RÉGION URBAINE. – Le Bourg.

 

Ce plan partiel de la ville donne la disposition de la région urbaine, destinée à l’habitat. 

     Cette région occupe, à l’Est du château, un emplacement de forme irrégulière : une sorte de trapèze qui serait posé sur un plan incliné, vers le haut, son côté Ouest longe la région militaire du château, vers le bas, son côté Est, longe la route montante du Faubourg, ses deux autres côtés de longueur inégale limitent la ville vers le Nord et vers le Sud. Destinée à l’habitat, cette région comporte des rues ouvertes aux relations extérieures, et de communication facile avec la région du Faubourg.

     Mais cette facilité de relations, normale en temps de paix, présente en temps de guerre de gros inconvénients. Nous sommes en effet en pays de frontière, et si vers l’Ouest, comme nous l’avons vu, le château garanti la ville de toute surprise, il n’en est pas de même du côté opposé. En cas d’investissement les hommes de guerre et leurs chevaux passeraient par le bourg et auraient vite fait d’occuper la ville entière. Il faut donc se garantir de ce côté : non pas à la manière du château dont la région se prête à la fortification, mais à la manière citadine, avec des moyens urbains. Et les moyens urbains qu’on peut ici utiliser, ce sont les maisons, les rues, les déclivités du terrain. C’est par le jeu de ces moyens disposés convenablement que l’on pourra créer des difficultés à l’envahisseur, lui ménager des surprises, susciter des hésitations, provoquer de fausse manœuvre, et freiner sa progression. Voire en limiter la visibilité et en réduire l’efficacité ou la portée des armes, tout en laissant aux habitants la disponibilité des sorties de secours, et la facilité des passages d’une rue à l’autre, soit par l’extérieur soit par l’intérieur des maisons, en un mot, offrir la possibilité d’un repli prudent vers le château.

     C’est cette préoccupation qui a commandé la disposition, ou l’aménagement des rues du bourg, et pour le démontrer, il n’est pas nécessaire d’entrer dans des détails oiseux, puisque c’est l’ensemble qui importe. Nous allons donc procéder d’une manière différente de celle que nous avons utilisé pour la section précédente, une méthode moins stricte, mais aussi plus commune, nous permettra de réaliser une description à la fois complète et attrayante.

         Supposons donc le cas d’un ennemi se présentant par surprise à l’entrée de la ville. Nous disons bien par surprise… par ce qu’il existe bien des moyens de parer à une telle surprise, et dont nous reparlerons à propos de la région du Faubourg dans la section C.

 

 

Article 1.-

Rues Notre-Dame, et affluentes.

 

      Disons donc : un ennemi, venant par la route d’Estagel, se présente à l’entrée de Latour : Place Vézian (55) 

 

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La Place VEZIAN (aujourd'hui, la Place Marcel Vié)

     Il peut se lancer dans deux directions, dont l’une est la rue du Faubourg (56) (aujourd’hui Avenue Guy Malé), mais c’est peu probable parce que son but est de rentrer dans la ville et non point de se promener à l’entour. Il délaisse donc la rue du Faubourg (56), et il s’engage délibérément dans la rue qui vient tout droit devant lui, et qui a bien l’air de pénétrer au cœur du village. Elle porte le beau nom que beaucoup de villes françaises fortifiées avaient choisi pour leur porte d’entrée, leur pont d’accès, la rue principale de leur faubourg: lue Notre-Dame. (49).

     L’homme se dirige donc vers cette rue rectiligne en vérité, mais elle monte, et vers le haut de plus en plus fortement. C’est une difficulté, car celui qui vient d’en bas, est en état d’infériorité par rapport à un adversaire qui viendrait d’en haut. Mauvais, cela… Peu importe, il s’y engage avec circonspection. Or, tout de suite à sa gauche, une autre rue : la rue Saint-Joseph (54).

     Encore une rue qui monte ferme, et tout de suite, et puis qui tourne. Il passe. Et puis, à sa gauche, une rue s’ouvre, étroite, minuscule, un couloir sans nom (48), qui aboutit à un mur, pas de visibilité : l’homme flaire là un danger, et il passe.

     Enfin, à sa droite enfin, une bonne rue s’ouvre, mais qui vire sec (50). Prudemment il s’engage, et aboutit à des greniers, des paillers, car la rue le conduit dans la campagne : c’est le quartier des FARRATCHALS (rue des Farratjals). Il revient donc en arrière et continue à monter dans la rue Notre-Dame (49).

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La rue Notre-Dame 

     Mais au moment où la rue va tourner, voici que s’ouvre, à sa gauche courte et montante la rue du figuier (47). Là, non plus, pas de visibilité, on ne voit, en face qu’un mur. Passant outre, notre homme s’engage avec prudence, dans la partie haute de la rue. Peine perdue : en face de lui un mur, à sa gauche une rue commerçante se pousse par saccade dans le tournant et s’y place en dent de scie, à sa droite, plus loin, il aperçoit une masse compacte et l’engagement d’une chicane : c’est le chapitre (37). Soudain, à deux pas à droite, le mur semble s’ouvrir dans une faille : c’est le goulet de la rue Colbert (14). Non, ces lieux ne sont pas sympathiques. Il y a peut-être un chemin plus sûr pour atteindre le cœur du village. Et il redescend sans désemparer, avec l’idée d’explorer la rue Saint-Joseph (54), qu’il a remarqué au bas de la pente.

 

 

Article 2.-

Rues Jean Jaurès et affluentes.

 

     Le revoila donc sur la Place Vézian (55). Il s’engage dans la rue Saint-Joseph (54), qui part en oblique, qui monte très vite, et qui tourne plus loin, de telle sorte qu’il n’en voit pas nettement la direction définitive.

     À peine s’y est ‘il engagé, que sur sa gauche, un cul-de-sac l’inquiète. Une rue s’ouvre sur sa droite : la rue Jean-Jaurès (46). Magnifique : elle va tout droit, elle semble parallèle à la rue Notre-Dame, mais elle monte bien rapidement, et au bout on ne peut apercevoir qu’un mur. Il faut aller voir ça.

     Dès les premiers pas, il reconnait à sa droite ce fameux couloir sans nom (48), qui est propice aux surprises traitresses, et favorable aux défilements rapides et discrets. Continuant la montée, il rencontre à sa gauche une rue qui, enfin, ne monte ni ne descend : la rue Béranger (45). Mais cette rue, bien courte et tranquille, butte contre un mur. On verra cela plus tard.

     Tout de suite, s’ouvre une autre rue, qui descend ferme, butte elle aussi, contre un mur. Il la reconnait : c’est la rue du Figuier (47), et ce mur d’en face est celui des maisons de la rue Notre-Dame qu’il a déjà suivi tout du long. Plus confiant, il précipite, sa marche, car il certain, qu’en haut il va découvrir l’aboutissement de cette rue en dents de scie (56) qui semble un centre de commerce. Mais arrivé au sommet, il se manifeste en lui une certaine perplexité. Déjà rendu méfiant par un cul-de-sac qui s’est brusquement démasqué à sa droite, il se demande où peut bien aboutir le passage souterrain qu’il a noté vers le sommet de la rue Notre-Dame.

     Or voici qui se révèle tout à fait inquiétant : Arrivé au bout de la rue Jean-Jaurès, l’homme se trouve sans trop savoir ni pourquoi ni comment, au centre d’un carrefour supérieurement organisé ; il en reste pantois ! Là en effet aboutissent cinq rues, mais aucune n’est dans le prolongement de l’autre, et par le fait d’un quintuple décalage, chaque rue arrive au même point, et n’a de vue que sur un mur.

     De fait, si cinq hommes arrivaient là en utilisant chacun une rue différente, ils ne se verraient qu’au moment précis où ils entreraient en contact. C’est un chef d’œuvre de traquenard. (60). et surcroit, droit devant lui, le mur qui lui fait face, et qu’il visait depuis le bas de la rue, cache, à deux pas à gauche, le débouché d’une des cinq rues en question. C’est le goulet de la rue du Four côté puits (16). Encore un goulet !

     Mauvaise affaire ! Et cette rue montante, qui semblait si dégagée menait à la souricière, porte le nom de: rue de L’enfer.

 

 

Article 3.-

Rues Saint-Joseph et affluentes.

 

     Notre envahisseur revenu au bas de cette infernale rue Jean-Jaurès, cherche à présent un cheminement plus assuré en poursuivant sa visite de la rue Saint Joseph. Mais la rue Saint-Joseph (54) ne va pas très loin, très vite, elle se termine en plein tournant et bifurque. En effet la montée continue à droite par la rue Anatole France (44), mais cette rue ne part pas en ligne droite : elle monte en fléchissant sur sa droite, et cet air penché limite la visibilité et favorise les défilements. C’est pourquoi notre homme opte pour la rue à gauche : la rue Saint-Martin (51), qui va tout droit, mais l’on n’en voit pas l’aboutissement : un tournant la dévie à son extrémité. Cependant elle se développe en palier, et ce n’est point désagrément. Ce qui l’est, c’est qu’immédiatement à la gauche, une rue descend à une allure de casse-cou, et elle porte bien son nom, c’est la rue du Danger (53).


La rue du Danger. 

     Elle ne présente aucun intérêt puisqu’elle aboutit elle aussi rue du Faubourg (Avenue Guy Malé) qui ramène à la Place Vézian (55). 

     Cette rue du Danger, en pleine pente, ouvre la voie à une autre rue (52) qui par vers la droite, mais qui n’offre pas non plus d’intérêt puisque, par un tournant brusque, elle aboutit aussi à la route, qui ramène à la place Vézian. D’ailleurs la rue Saint-Martin par un cheminement plus long, aboutit-elle aussi à la route, laquelle ramènerait toujours au départ de la place Vézian. Et tout cela retarde la marche, et tout cela fait perdre le temps.

     C’est le cœur de la ville qu’il faut atteindre. Donc, il vaut mieux s’engager lui semble-t-il dans la montée de la rue Anatole France (44), qui elle du moins n’a pas l’air de partir dans la direction de la route.

 

 

Article 4.-

Rues Gabriel Péri et affluentes.

 

     Elle n’a pas seulement un air penché, cette rue montante… Dès son départ, une subite défaillance à sa gauche révèle un enfoncement de caractère inquiétant, suspect, cela peut être un repaire. Dans cette rue, néanmoins (44), les choses semblent avoir quelque aisance d’allure vers le milieu de la côte. Là, s’ouvre à droite, une rue large et courte et qui butte sur un mur. Mais l’homme reconnait les lieux : c’est la rue Béranger (45) et le mur d’en face est celui de la rue Jean-Jaurès, ce mur sans doute empêche la visibilité, mais l’homme sait qu’un peu plus haut, s’ouvre la rue du Figuier qui descend sur la rue Notre-Dame.

     Tout va bien : peu à peu il reconnait toute une partie du plan de la ville. Il se sent d’autant plus à son aise, qu’avec un léger décalage il constate la présence, à sa gauche, d’une grande rue, correcte, avenante, la rue de l’Orphéon (43), où l’on peut fort civilement déambuler. Mais cela ne dure guère : une bifurcation se présente qui ralentit la marche du « promeneur ».

     À sa gauche, une rue rectiligne, agréable, la rue de la Fontaine (42), descend en pente douce, mais d’un coup d’œil expert l’homme a vite fait d’identifier, à l’autre bout, l’éternelle route qui le ramène à son point de départ : non ce n’est pas ce chemin qu’il faut prendre pour aller au cœur de la ville.

     Il dirige donc ses pas dans la rue Gabriel Péri (38) qui part tout bonnement sur la droite, en palier. On ne voit pas trop où elle aboutit, elle s’infléchit légèrement, comme « avec l’air de ne pas y toucher ». Et tout à coup, là, à droite, se dresse une tour (59), austère et froide ; (l’emplacement de cette tour sis à l’intersection des rues Aristide Briand et Gabriel Péri n’est malheureusement plus visible aujourd’hui).

     Au-delà de cette tour, s’aperçoit le bastion Sud (25) des fortifications, et la rue se resserre dans un engorgement face au menaçant Serradet, et en deçà de cette tour, s’enfonce, à droite une petite rue, étroite et peu « circulante », insidieusement elle se faufile comme un « boyau » : c’est la rue de l’Arc (39).

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La rue de L'Arc.

     Quelques pas, prudents pour conclure que l’on va ou bien dans une impasse, ou bien vers quelque chose de plus périlleux : une chicane. Et c’est en effet une chicane aux allures de coupe-gorge qui fait reculer l’homme et lui fait prendre en sens inverse la rue Gabriel Péri qui l’avait conduit jusque-là.

 

 

Article 5. –

Rues Anatole France et affluentes.

 

     Revenu au point de départ de la rue de l’Orphéon, le voici maintenant engagé dans la dernière côte de la rue Anatole France. Il voit bien, au sommet, devant lui, encore et toujours un mur, mais rien que l’aspect de la façade lui fait pressentir une rue importante.

     Quelques pas avant d’aboutir, sur la gauche, un porche se dessine, avec une simplicité de bon aloi. Toutefois l’homme n’a pas tort de rester sur ses gardes : il veut examiner cela de près, car ce porche donne voie sur une rue qui part en diagonale : la rue de l’Arc (42) et ce porche (40), fait face à une ruelle qui s’ouvre dans son axe (41).

     Ce qui a arrêté sa marche, c’est cette chose qu’il n’a encore jamais rencontré : un croisement régulier. Deux rues qui se coupent ainsi en angle droit, après tous ces décalages, toutes ces chicanes, tous ces goulets, l’interpelle et l’inquiète. C’est même trop beau pour être honnête : ce croisement cacherait-il un « chausse-trape ». ? Faut vite passer ces « Quatres-Coins ». Mais avant de se lancer sur la Place de la Liberté (35), il faut, tout de même s’assurer de l’état des lieux.


La Place de la Liberté.

     Vers la droite, au fond, il reconnaît l’entrée du goulet, déjà vu de la rue du Four (côté puits) (16). Vers la gauche, sur le saillant formé par la jonction de la rue de l’église (34), et de la rue Aristide Briand (33) : se dresse une tour dont l’empattement se reconnait encore aujourd’hui à la base de la maison sise en ce point. Enfin voici le but qui semble se dévoiler En léger décalage par rapport à la rue dont l’homme vient de déboucher, s’ouvre, régulière, simple, et accueillante, à tout autre qu’un ennemi, la rue du châteaux (15).

     Toutefois, elle présente un passage voûté, positivement belliqueux, et si on réussit à le franchir, on ne trouvera point la porte du château, mais un terrain découvert, dont le nom évoque la parade en temps de paix, mais celui de la bataille en temps de guerre c’est : la Place d’Armes.

     Notre homme a pratiquement exploré toutes les rues du bourg, et il a été toujours arrêté exactement à la rue qui limite la région de défense, la région militaire du château.

 De cette longue artère, il connait : Dans la portion Nord : la rue du Commerce (rue Roger Salengro), le goulet de la rue Colbert (14). Et s’il ne s’est pas avancé plus loin dans cette direction, c’est que l’entrée de la rue de la Glacière (37), lui présentait une chicane peu engageante sous la masse « rempardée » du Chapitre. Il connait aussi , dans la portion Sud : la Grande rue (rue Aristide Briand), et ces deux tours qui montent la garde l’une en bas, l’autre en haut quand le rue tourne légèrement avant de filer droit dans une pente rapide. De fait, cette rue a une réelle importance : elle établit la communication entre les trois rues rectilignes qui desservent les « plages » de manœuvre de la Seillière et du Cimetière. Il connait également, cette longue artère, et le carrefour central, ce véritable traquenard organisé magistralement devant le goulet de la rue du Four (16).

 

Nb - Voir plan et figures ci-dessous. 

 

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Section C.

RÉGION RURALE. – Le Faubourg

 

Ce plan partiel de la ville donne la disposition de la région rurale, organisée pour l’exploitation des terres.

 

     Cette région s’étend sur les côtés Nord-Est et Sud-Est de la ville, et son artère principale: le Boulevard du Faubourg ( l'actuelle Avenue Guy Malé), met en communication ses deux extrémités, et en même temps, la sépare du bourg proprement dit.


Le Boulevard du Faubourg

     Le faubourg, constituant ainsi les limites du bourg, tient de lui son apparence, mais seulement son apparence : c’est un « faux » bourg. Il est organisé pour jouer un rôle différent. Son propre rôle, est de conduire les habitants du bourg vers leurs lieux de travail par les chemins d’exploitation, et en même temps de faciliter les relations du bourg avec l’extérieur par les routes.

         Cependant nous verrons qu’une mission spéciale lui est dévolue dans le dispositif de défense de la ville en temps de guerre.

 

 

Article 1.- L’EXPLOITATION. 

 

     Il est un quartier du faubourg que l’on désigne par un vocable ancien dont beaucoup ignore le sens exact. Nous voulons dire : la rue des FARRATCHALS, au Nord-Ouest du village, à proximité des terres qui descendent en pente douce vers l’Agly, et qu’irriguent le canal d’arrosage (dit d’Estagel), et le Regat. Ces terres sont désignées par des noms usuels caractéristiques, les lieux-dits familiers à nos cultivateurs : la Bernède, las Feiches, Gournès, et il y a un rapport direct entre ces lieux, leur appellation et le quartier des Farratchals.

  • FEICHES.    Est le mot qui correspond au Catalan Feixaç, et au français Faisceaux, ou même Faix (Fagots).

     La feiche : est une sorte de barrage constituée de fagots de bois et de roseaux reliés ensemble et consolidés par des pieux et des pierrailles, et cela pour former une murette de soutènement qui retient la terre, et nos terres de las Feiches sont de bonnes terres de culture, retenues sur la pente et arrosées par des canaux.

  • BERNEDE.   Est le mot qui correspond au français Berne, et au catalan BERN qui veut dire : bord, talus…Et notre Bernède c’est bien le talus qui borde l’Agly au-delà de las Feiches.
  • GOURNÈS. Est un vieux mot d’origine bas-languedocienne ou provençale qui indique une région humide et marécageuse, le coin préféré des « gournilhs », le coin des grenouilles.

     Cultures et marécages, prairies et herbages, terres assouplies par l’irrigation des canaux, c’est une région d’exploitation agricole, et les paysans trouvent à proximité les greniers pour les récoltes, les granges et les paillers pour les fourrages, dans le quartier des « FARRATCHALS ». Ce vieux mot de « Farratchals » a bien ce sens précis, on le retrouve dans beaucoup de villages et de fermes pour désigner ces bâtisses rurales qui, près des maisons d’habitations et à l’abri d’une clôture, gardent fourrages et moissons. De même, que le mot de FARRAGO veut dire : mélange de graines, de lui est venu le mot FOURRAGE, et le mot de FOURRAGÈRE pour désigner la charrette aménagée pour le transport du fourrage, le catalan dit : LO FARRAT ; le FARRATCHAL étant le dépôt du farrat.

 

 

Article 2.- LE MARCHÉ

 

     Allons à l’autre bout du Faubourg. En remontant la rue, nous rencontrons la rue de l’Abreuvoir (62). C’est le quartier des écuries, situées là parce qu’elles sont ainsi proches du Torrent, et la rue est large et facile, et conduit vers le bas, aux champs et vers le haut, aux vignobles et aux olivettes des collines.

      Voici la place du Marché. Autrefois centre agricole par excellence… aujourd’hui, les foires et les marchés se tiennent sur d’autres emplacements communaux, la poste et la bascule publique ont disparu.


La place du Marché et l'ancienne Poste.

     Toutefois, il n’est que de considérer le plan cadastral pour se rendre compte que cette place du marché est un centre de relations extérieures, c’est le point de jonction de la ville et de la campagne, point d’arrivée des routes des villages voisins, et point d’arrivée de la rue qui vient en pente douce du centre bourg.

     Que l’on remarque bien cette dernière rue, qui porte le nom de rue de la fontaine (42).

     Nous connaissons, pour pénétrer dans le village, les rues qui partent de la place Vézian (55) et qui offrent une montée rapide : ce sont des rues de pénétrations difficiles. Mais cette rue de la Fontaine (Hyppolyte Marty), qui part de la place du marché, présente une monté plus douce, régulière, et en ligne droite : c’est une rue de faciles relations. De toutes les entrées de Latour, celle-là est de toute évidence l’entrée civile. Les autres répondant diversement selon leur situation, à des préoccupations d’ordre militaire.

      Cependant, il ne faut pas croire que le faubourg reste en dehors du dispositif de défense. Il se développe aux portes de la ville, et c’est par là qu’il faut passer nécessairement pour entrer. 

 

 

Article 3.- LE SERRAT

 

     Le faubourg se développe à l’abri d’une masse imposante : une colline, par un relief naturel, le couvre à l’Est, et le cache dans le creux du Torrent comme dans un repli. Ce retranchement naturel, porte le nom de SERRAT D’EN FRANC.

 

 

     Il suffit de monter sur cette colline pour se rendre compte qu’elle contrôle les deux seuls points d’accès au Faubourg, et par le Faubourg à la ville, et ces deux points sont comme par hasard, deux ponts : au Nord, le pont du Torrent (67), sur lequel passe la route d’Estagel, au Sud, le pont de la fontaine (66) sur lequel passe le chemin de Montner. En cas d’alerte, d’un signe les guetteurs de la tour, qui se dresse en face, sont immédiatement renseignés. Force est de constater que le « Faubourg » est bien protégés.

     Notons que le nom véridique de cette colline ou « Serrat » n’est pas celui de Serrat d’en FRANC, mais bien celui de : Serrat de FRANC. Cela veut dire que cette colline est un terrain militaire. Elle est exonérée de toutes taxes, on peut y faire paître les troupeaux, y ramasser librement le bois de chauffage sans rien payer, gratuitement, sans débourser : DE FRANC, c’est un terrain « en franchise ». Mais, il est interdit de bâtir en ce lieu, et chacun ne peut y accéder qu’à ses risques et périls, car le « Serrat » n’est « de franc » que parce qu’il est terrain militaire.

     Toutes ces mesures de protection et de défense, toutes ces dispositions intérieures, ces utilisations des lieux, et ces précautions nuancées, englobent la totalité de la Cité sans qu’il s’y trouve d’inconvénients majeurs pour l’une ou l’autre de ses parties ; il en résulte une unité qui ne contrarie point les diversités mais les rassemble.

     Il en résulte aussi cet aspect de belle allure qui fut donné à Latour, et qui lui est resté malgré l’éloignement des frontières de France, et le recul des siècles.

À ce point de vue, aucun village de la région du Fenouillèdes ne peut, lui être comparé.

 

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APPENDICE.

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Note 1.- Les origines de la seigneurie de LATOUR DE FRANCE.

 

     Le traité de Meaux, en 1226, met fin à la guerre des Albigeois. À la suite de cette guerre le Languedoc est intégré à la France par le traité de Paris signé en 1229, sous la régence de Blanche de Castille.

     La révolte de Raymond de Trencavel, vicomte de Béziers, d’Agde, de Carcassonne et d’Albi, et sa défaite à Montréal en 1240, donne à Louis IX (Saint-Louis) l’occasion d’organiser la nouvelle province. Très rapidement, à cause de l’insécurité qui régnait à l’époque, il fait procéder aux fortifications de Carcassonne, ainsi le gouvernement royal établit au cœur même du Languedoc un bouclier qui tient en respect l’ennemi de l’extérieur (l’Aragon), mais qui, avec non moins d’efficacité, décourage toute velléité de rébellion à l’intérieur.

      La mesure est bonne. Le pays reste calme. Et Philippe le Hardi a tout le loisir de perfectionner l’ouvrage de son père : il équipe magnifiquement la noble Cité. Il embellit ses défenses, et Carcassonne désormais profile l’élégance de sa silhouette d’outre-Loire dans le ciel du Midi.

     Ainsi le Roi de France a imposé sa loi. Mais les craintes que pourraient inspirer ses démonstrations de force son adroitement atténuées par les concessions faites aux peuples, les privilèges accordés aux corps de métiers, et les faveurs aux familles féodales déchues. Peu à peu le pouvoir Royal s’attire les sympathies, efface les rancœurs, engage les reconnaissances, et réalise, à son avantage, l’union des esprits. Et ce sera un même élan, une même ardeur, une même pensée patriotique qui dressera Occitans et Français contre l’envahisseur, quand, en 1355, le « Prince Noir » se présentera sous les murs de Carcassonne.

     C’est à cette souplesse politique des Rois de France que Latour doit d’être devenue une Seigneurie indépendante. Jusqu'à cette époque, la ville de Latour n’est qu’un fief du Comté de Fenouillèdes, et son histoire se perd dans l’histoire de ce Comté. À partir de ce moment, Latour va vivre sa propre vie.

Philippe V de Valois, dépossède les vicomtes de Fenouillet de tous leurs fiefs, qui s’inscrivent dès lors dans la Sénéchaussée Royale de Carcassonne. En 1342, il crée la Seigneurie de Latour de France de la Sénéchaussée de Carcassonne et dans la viguerie de Fenouillèdes, et en donne le titre et la propriété à la famille Du Vivier.

     Désormais Latour est ville frontière de France : et la coutume s’introduit peu à peu, de ne plus dire : Latour-de-Fenouillèdes, mais Latour-de-France.

     Elle restera ville-frontière jusqu’au traité des Pyrénées, en 1659, sous Louis XIV, à part une brève interruption quand Louis XI acheta le Roussillon en 1463 et porta ainsi plus loin la frontière de France, mais en 1492 le Roussillon fut rendu à l’Aragon par Charles VIII et Latour redevint ville-frontière.

     La ville paya chèrement cet honneur et cette charge. Elle fut détruite deux fois par l’ennemi : en 1462 à la suite de la révolution Catalane, et 1640, à la suite de la guerre Franco-Espagnole.

 

Note 2. – Vieilles rues, vieux quartiers. 

 

     Les rues sans nom ne manquent pas à Latour, et c’est assurément une lacune. Mais pourquoi ne pas avoir laissé subsister les vieux noms ?  Sans parti-pris passons en revue les changements de dénomination, précisons tout de suite que l’objet de cette note, n’est pas la remise en question des dénominations nouvelles, mais fidèle à l’esprit qui a présidé à la rédaction de ce travail, nous entendons utiliser tous les moyens possibles pour comprendre, et « expliquer » le village, et spécialement ici nous nous attachons à découvrir la raison d’être de ces vieilles dénominations.

     Elles ne furent pas en effet fabriquées au hasard, ni inventées de toutes pièces, ni imposées par décret. Mais elles jaillirent spontanément, pour la nécessité de la vie pratique, du langage simple, imagé, concret, d’un peuple ouvrier et soldat.

  • N’est-il point savoureux, dans sa malice gouailleuse, ce nom de Rue de L'ENFER autrefois donné à l’actuelle Rue Jean-Jaurès : cette rue d’apparence tranquille et pour ainsi indifférente, mais qui réserve à son sommet, la surprise d’un traquenard infernal.
  • La dénomination, des Quatre Coins n’est-elle pas plus expressive que celle : d’Anatole France pour désigner l’unique point de la ville ou deux rues se croissent en angle droit ?

     L’actuelle rue Aristide Briand s’appelait autrefois la Grand’ Rue, non point parce qu’elle était plus grande que les autres, mais parce qu’elle était, de fait une artère de grande importance en son lieu, parce que d’elle, dépendait le service du rempart dans ses « plages » et plate-forme de manœuvre. 

     Cette Grand’ Rue est gardée à chaque extrémité par une tour : d’un côté s’ouvre les trois rues de services « aux plages », mais de l’autre côté c’est une suite ininterrompue de maisons d’habitations, et voici pourquoi ces maisons-là retiennent notre attention. La régularité de ces bâtisses, et particulièrement la triple série de festons des tuiles-canal qui court en corniche, tout au long des toitures, indique le rang social de leurs habitants. Les riches et les bourgeois habitaient la Grand’ Rue. Nobles et haut-fonctionnaires (les hommes d’épée, et les hommes de robe) avaient leur demeure aux alentours du château, sur les actuelles Place de la Liberté et de la République.

     En temps de guerre, la Grand’ Rue étant réquisitionnée pour le trafic des « gens d’armes », ses habitants disposaient alors de la petite rue de l’Arc qui passe derrière les maisons et double, parallèlement, la Grand’ Rue, conduit comme elle jusqu’à la rue du Commerce (rue Roger Salengro), et, comme elle, donne accès, par les rues descendantes, aux autres quartiers du bourg.

  •  La rue Gilbert Brutus, qui longe le château portait le vieux nom de « la Roquette » cela voulait dire : rue qui aboutit à la petite rocade. (une rocade c’est une corniche creusée dans le roc, et c’est de cette façon que la rue se termine sur le rempart).

     Il n’est pas sans intérêt de noter que dans l’antique jeu des Échecs (jeu de tout temps en honneur parmi les guerriers) ROC était le terme qui désignait la pièce que nous nommons : la Tour, et que « roquer », est le terme toujours en usage pour dire : prendre avec la Tour.

     La Place Valmanya était appelée la Place « de l’huile », et la rue Roger Salengro, s’appelait rue « du Commerce » parce que là se trouvaient groupés les commerçants, au centre de la ville.

     Enfin, grâce à une heureuse et bienveillante indifférence, de vieux nom sont restés. C’est le cas de cette Rue « des Farratchals » dont nous avons déjà donné l’explication.  C’est le cas aussi de la rue et de la Place de la « Seillière ». Il s’agit d’une désignation corporative ; la SEILLIÈRE c’est le quartier des fabricants de « Seilhs », de seau, barrique, comporte et tout récipients de bois, et nul doute qu’une telle industrie est utile dans ce pays de graines et d’olives. 

  • La rue du « Four » ainsi que la rue de « l’hôpital » n’ont pas changé de nom. Il nous reste également des rues qui portent toujours le nom d’un Saint : St. Joseph, St. Martin, St. Antoine.

     Mais… sur les murs de nos maisons, des socles sont vides, aux angles des rues, des logettes de pierre autrefois agencées avec un art délicat, sont délaissées, qui supportèrent l’image d’une vénérée madone ou d’un saint, et la « rue Longue » garde, en son milieu, la trace nette d’une niche depuis longtemps obturée. Devant ces reliques d’un temps passé, on évoque sans peine ces gestes étonnants des vieilles villes d’Espagne ou d’Italie quand le peuple, aux temps de liesse ou aux heures d’angoisse, se rassemble avec ferveur, pour fleurir et prier l’antique « Saint du quartier » dont la naïve statue est juchée et comme incrustée dans la muraille, en pleine rue, à hauteur d’homme, à portée de la main, le « Saint » secourable et familier de la dévotion populaire.

     Cependant l’instinctive obstination des hommes a conserver de vieux noms que ne connait plus le Plan Cadastral, comme le quartier du « Moulin-à-vent », dont, un temps, les ailes ont tourné (un petit tour et puis s’en vont), et le nom de Rosette Blanc, qui n’a fait que se superposer aux noms qui subsiste dans les mémoires et transparait comme en filigrane : LE CROS.

     Et quand le temps, qui finit par avoir raison de l’obstination des hommes dissimule dans les replis de son manteau flottant les émouvantes fragilités des traditions qui meurent, alors et encore les pierres tenaces parlent un langage muet, un langage que tous ne comprennent pas.

 

LATOUR-DE-FRANCE, la cité d’autrefois, la ville d’aujourd’hui,
s’inscrit dans un triangle dont les trois côtés sont rigoureusement égaux : (380m.)

    Ses trois points, A-B-C sont les points où s’élèvent sur le territoire communal trois stations des « Rogations ». (Les jours des Rogations sont, dans le calendrier liturgique tridentin, les trois jours précédant immédiatement le jeudi de l'Ascension, c'est-à-dire les 37ᵉ, 38ᵉ et 39ᵉ jours après Pâques. Ce terme est encore utilisé aujourd'hui par les Églises catholique, anglicane et quelques Églises orthodoxes).

    Comme visible ci-dessus sur la figure 36: 

  • Le -A- (la Capeillette) regarde la plaine, 
  • Le -B- fait face aux collines,
  • Le -C- domine la vallée.

     Joignez ces trois points, et vous enfermez la Ville dans un triangle de protection « Divine »

     Certains seront surpris d’une telle coïncidence, d’aucuns seront ravis d’une telle concordance. Les uns et les autres pourront tout à loisir, pour embrasser du regard le village qu’ils aiment, gravir les pentes familières du SERRAT, au-delà du Torrent, car c’est là que se trouve le point final :

Un modeste monument, aux briques rongées par le soleil,
aux matériaux désagrégés par les intempéries,
mais qui se dresse, solitaire et nu,
comme un témoignage,
simple et net, comme un signal.

.
Cet oratoire carré (-B-) situe, le point sur le chemin de Montner,
où chaque année le 3 mai,
était donnée la Bénédiction de la Sainte-Croix.

 

 

 

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